Dossier
16/07/2025
Limitation du chômage : Ne nous laissons pas diviser !

Le gouvernement fédéral s’apprête à exclure du chômage jusqu’à 174.000 personnes dès l’an prochain, si la loi-programme est adoptée avant l’été. Une mesure brutale, qui, sous couvert de remise à l’emploi, vise en fait à affaiblir l’ensemble des travailleurs.
À écouter les promoteurs de la réforme, cette mesure viserait à « inciter à la reprise d’emploi ». Pourtant, les chiffres démontrent surtout l’écart important entre les postes vacants et les demandeurs d’emploi. En 2024, la Belgique comptait près de 172.000 emplois vacants (dont seuls 22% d’entre eux sont en Wallonie et 12% à Bruxelles). Face à cela, on recense près de 300.000 demandeurs d’emploi complets indemnisés, dont 42% en Wallonie et 21% à Bruxelles. Si on y ajoute les 500.000 malades de longue durée que le gouvernement entend remettre au travail coûte que coûte, on constate que la Belgique est d’abord confrontée à un problème de manque d’emplois.
Plusieurs études1 réalisées sur base des données belges ont démontré que restreindre les allocations de chômage (que ce soit en limitant les allocations d’insertion dans le temps ou en augmentant la dégressivité) n’a pas d’effet sur l’emploi. Au contraire, cela tend à éloigner de l’emploi via l’aggravation des conditions de vie compliquant la recherche d’emploi. Plus particulièrement, les études montrent que les incitations financières deviennent inefficaces à mesure que la durée de chômage s’allonge, ce qui est à proprement parlé le public visé par la réforme actuelle.
Contrairement aux discours alarmistes sur le « coût » du chômage, les allocations de chômage de longue durée représentent une part minime de notre Sécurité sociale : à peine 3,5% du budget de la Sécu et 0,3% du PIB. Ce montant est resté stable depuis 10 ans, loin d’une explosion des dépenses.
+ PUBLICATION | Retrouvez cet article dans notre "Droit de l'employé" de juin 2025
Si la Belgique fait figure d’exception concernant la non limitation dans le temps des allocations de chômage, elle est aussi caractérisée par un accès au chômage particulièrement difficile : en Belgique, il faut avoir travaillé 12 mois sur une période de référence contre 3 mois en Italie ou 6 mois aux Pays-Bas. De plus, la dernière période de chômage est une allocation forfaitaire, qui ne dépend plus de votre dernier salaire, et qui est en deçà du seuil de pauvreté. Bien que les allocations de chômage soit illimitée dans le temps d’Anvers à Arlon, les taux de chômage des provinces belges diffèrent fortement. Ce qui confirme s’il le fallait que le raisonnement qui consiste à lier la « générosité » d’un système avec la propension naturelle des gens à s’installer durablement dans le chômage, ne tient pas la route.
L’objectif non assumé de cette réforme
Ne soyons pas naïfs, les partis au gouvernement connaissent toutes ces études et ces chiffres. Ils savent pertinemment bien que limiter le chômage dans le temps ne va pas favoriser la reprise d’emploi des personnes exclues du chômage. Ce qui est visé ici, ce n’est pas une économie budgétaire significative ni une augmentation du sacrosaint taux d’emploi. L’objectif de cette réforme est d’abord, d’essayer de nous diviser : d’un côté les bons travailleurs à temps plein qui se lèvent le matin et de l’autre, les soi-disant fainéants (pas vraiment en fait - voir les témoignages ci-dessous). Cela permet de ne pas focaliser l’attention sur les vrais profiteurs : en 2024, les entreprises privées ont reçu 17,7 milliards de subventions directes de l’État, soit près de 9 fois le budget du chômage de longue durée qui se chiffre à un peu plus de deux milliards par an. Les entreprises privées en Belgique ont aussi versé 19,2 milliards de dividendes à leurs actionnaires en 2024. Le deuxième objectif, à peine cacher de cette réforme est de forcer les gens à accepter n’importe quel emploi, à n’importe quel prix. Et enfin, c’est bien sûr une régionalisation cachée de la Sécurité sociale via un transfert des dépenses de chômage de longue durée du fédéral vers les régions et les CPAS dont Bruxelles et la Wallonie paient le plus lourd tribu.
Derrière les chiffres, de vrais gens.
Cette réforme semble complètement ignorer les situations des travailleurs au chômage. Plus de deux-tiers des travailleurs au chômage depuis plus de deux ans ont travaillé durant leur période du chômage2, mais pas assez que pour ne plus être considérés comme chômeurs de longue durée. En effet, pour commencer une nouvelle période de chômage, il faut avoir travaillé à temps plein pendant au moins 3 mois consécutifs. Cela signifie qu’une partie importante des chômeurs dits « de longue durée » font des allers-retours réguliers entre des périodes de travail courtes (probablement de l’intérim) et des périodes de chômage.
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Prenons le cas de Marie3, 49 ans, accueillante d’enfants via le système des chèques ALE. Elle surveille et anime les enfants dans une école durant la garderie quatre jours par semaine. Elle gagne 4,10€ de l’heure, un travail indispensable mais non reconnu, en complément de son allocation de chômage. Dès janvier 2026, elle sera exclue du système. « Je vais passer de 1.700€ - que j’ai actuellement au chômage comme cheffe de famille avec une personne handicapée à charge - à 871€, car je vais être considérée comme cohabitant avec mon filleul, personne handicapée dont je m’occupe. Je suis complètement sous le stress. Ils mettent tout le monde dans la même case avec ces exclusions, ils ne font pas d’exception ! Ils ne se rendent pas compte que nous travaillons et qu’on fait tout ce qu’on peut pour trouver un vrai emploi en CDI. »
Cora licencie 1.700 travailleurs et travailleuses dont nombre d’entre elles ont plus de 20 ans d’ancienneté. Après deux ans de chômage sans retrouver un emploi, ces travailleurs seront exclus du chômage et se retrouveront sans rien, si ce n’est la possibilité de demander l’aide sociale, s’ils y ont droit. Il n’y a plus de RCC (prépension) possible puisque le gouvernement Arizona met fin au système de prépension. Leur recherche d’emploi se heurte à un mur : la grande distribution privilégie les étudiants ou les flexijobs, contrats précaires rendus encore plus faciles par les récentes mesures de l’Arizona.
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Comme 5.000 travailleurs percevant des allocations de chômage, Aicha3 est en reprise d’études pour un métier qui n’est pas en pénurie, elle étudie le marketing. Si cela fait plus de deux ans qu’elle est au chômage, elle sera exclue en 2026 même si ses études durent plus de deux ans et qu’elle les réussit. Seules les personnes qui suivent des études d’aides-soignantes ou d’infirmières pourront encore percevoir des allocations de chômage pendant plus de deux ans.
Amplifier la mobilisation
Depuis les premières annonces, les travailleuses et travailleurs se sont mobilisés lors de plusieurs manifestations et grèves. Commençons par constater que les mobilisations entraînent des lenteurs et des divisions au sein du gouvernement, qui ont pour effet que les mesures ne sont pas adoptées aussi vite que le gouvernement et le patronat le souhaiteraient. Un cabinet d’avocats d’affaires a récemment relayé le fait que les « grèves à répétition » rendaient nerveuses certaines multinationales présentes en Belgique. La FEB s’est exprimée publiquement pour exhorter le gouvernement à adopter ses réformes avant l’été. Ces craintes démontrent déjà la pression réelle que mettent nos actions.
Plus précisément, concernant la limitation des allocations de chômage dans le temps, nous avons obtenu que les artistes, les travailleurs à temps partiel bénéficiant d’une allocation complémentaire (AGR) et travaillant au moins à mi-temps ainsi que les travailleurs au chômage se formant dans un métier des soins de santé (aide-soignant et infirmier uniquement) soient exclus de la réforme. De plus, le phasage de l’entrée en vigueur a été étalé sur plusieurs mois et les personnes en RCC restent dispensées de la recherche active d’un emploi.
Ces reculs paraissent évidemment maigres face à l’ampleur du nombre de travailleurs qui vont être exclus du chômage mais ils n’auraient pas été obtenus si nous ne nous étions pas mobilisés. Par contre, l’accord de gouvernement mentionnait qu’une « offre d’emploi finale » devait être faite à toutes les personnes qui se retrouveraient exclues du chômage. Le projet de loi-programme n’en fait aucune mention. Le combat n’est pas encore terminé. Tant que la loi n’est pas votée, nous pouvons encore, par la pression sociale, les faire reculer.
2 Source : chiffres du FOREM
3 Prénoms d’emprunt