Nouvelles règles
Au 1er janvier 2025, le nouveau Livre 6 « Responsabilité Extracontractuelle » du Code civil entrera en vigueur. Le futur article 6.3, §2, dispose que : « Sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement, les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle sont applicables entre la personne lésée et l'auxiliaire (nous soulignons) de ses cocontractants. »
Jusqu’au 31 décembre 2024, les règles du Code civil actuel ne prévoyaient pas cette possibilité. Le client (ou un autre tiers), en cas de dommage causé par un travailleur salarié de l’entreprise, pouvait uniquement se retourner contre l’entreprise elle-même. A partir du 1er janvier 2025, le client (ou un autre tiers), qui se prétend victime d’un dommage, pourra poursuivre en responsabilité soit l'entreprise, soit le travailleur directement. Il n’y aura plus de détour obligatoire via l’employeur.
Dans la pratique, il semble peu probable qu’un travailleur soit mis en cause par le client de son patron, puisque ce dernier est souvent plus solvable et doit répondre de toutes les fautes (légères occasionnelles) de son travailleur. Mais cela reste possible dans certaines situations ; par exemple, si un client veut atteindre personnellement un travailleur ; ou s’il veut exercer une pression sur l’employeur par la menace d’une procédure contre le travailleur ; ou si l’employeur est en faillite ou en insolvabilité (et que le risque n’est pas assuré).
Que se passera-t-il si un tiers, qui prétend avoir subi un dommage, choisi de réclamer des dommages et intérêts au travailleur salarié plutôt qu’à l’employeur ?
Limitation de responsabilité prévue par la loi sur les contrats de travail
Le travailleur restera protégé par le biais de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail : il ne sera responsable qu’en cas de faute intentionnelle, faute lourde ou faute habituelle commise dans l’exécution de son contrat de travail. Cela vaut aussi à l’égard des tiers.
On parle de faute intentionnelle ou de dol lorsque le travailleur a la volonté de nuire à son employeur ou à un tiers (par exemple, le vol). Une faute lourde peut être constatée lorsque le travailleur devait prévoir les conséquences de son acte, même s'il ne les a pas voulues, ou devait en avoir conscience (par exemple, fumer dans un local où des substances inflammables sont entreposées et où il est interdit de fumer).
Une faute habituelle se déduit du caractère répétitif de la faute (par exemple, déficits de caisse récurrents). On entend parfois, de certains employeurs, qu’une faute légère commise à deux reprises dans une période de six mois consécutifs est présumée habituelle. Cette opinion ne correspond à aucune règle jurisprudentielle. C’est au juge qu’il appartient d’estimer à partir de quel moment la faute légère acquiert un caractère répétitif. La répétition anormalement fréquente de fautes légères s’apprécie en fonction des circonstances de faits ayant entouré la naissance de la faute, de la qualification du travailleur, de son expérience, de son niveau de responsabilités, des instructions éventuelles données par l’employeur, etc. En outre, l’habitude ne peut être retenue que si le travailleur a été en mesure de se rendre compte des fautes commises. Tout ceci s’apprécie évidemment au cas par cas. L’importance du dommage, de même que la nature du manquement du travailleur ne sont jamais déterminantes. La jurisprudence est plutôt rare, car les preuves à apporter sont assez lourdes.
Si le travailleur reconnaît qu’il a commis une faute intentionnelle, une faute lourde ou une faute légère habituelle à l’égard de son employeur, ou, à défaut d’accord entre le travailleur et l’employeur, si le juge en décide ainsi, des dommages et intérêts peuvent être déduits du salaire du travailleur, sans toutefois que cette retenue ne dépasse 1/5e du salaire net. Cette limite ne s’applique pas en cas de faute intentionnelle ou si le travailleur a mis fin à son contrat avant d’avoir remboursé totalement la somme qu’il doit à l’employeur.
Les tiers victimes d’un acte dommageable commis par un travailleur pourront également agir contre celui-ci en paiement de dommages et intérêts. Contrairement à l’employeur, les tiers ne peuvent cependant pas procéder à une retenue sur la rémunération du travailleur. Comme tout autre créancier, les tiers doivent dès lors recourir aux procédures ordinaires, parmi lesquelles la saisie sur salaire.
Loi spéciale
Bref, le travailleur salarié bénéficie d’une immunité de responsabilité civile pour toute faute légère occasionnelle. Selon les termes de la Cour constitutionnelle (arrêt du 17 février 1999) : « Cette limitation de la responsabilité civile du travailleur était l’une des principales innovations de la loi du 3 juillet 1978 et entendait protéger le travailleur contre les risques particuliers en matière de responsabilité auxquels il s’expose dans l’exécution du contrat de travail et qui peuvent impliquer pour lui une charge financière considérable. »
La loi du 3 juillet 1978 est une loi spéciale, qui règle la responsabilité civile du travailleur salarié à l’égard de son employeur, mais également à l’égard de tiers. Cette loi fait donc obstacle, en la matière, à l’application des règles du Code civil. Cette analyse a été confirmée par la Cour constitutionnelle (cf. arrêt précité). Dans cette affaire, un travailleur avait causé un accident de la circulation dans l’exercice de son travail et avait endommagé un véhicule d’un tiers, sans que la façon de conduire du travailleur – quoique imprudente – puisse être considérée comme une faute lourde. La Cour constitutionnelle avait confirmé l’absence de responsabilité du travailleur.
Les modifications apportées au Code civil n’auront donc aucun impact sur les travailleurs salariés, mais plutôt sur les travailleurs indépendants ou d’autres intervenants.
A noter encore que l’article 18 est sans incidence sur les peines (amendes pénales et/ou emprisonnement) prononcées contre le travailleur en cas d’infraction commise dans le cadre de l’exécution du contrat de travail. Le travailleur engage sa responsabilité pénale même si l’infraction sanctionnée constitue une faute légère accidentelle commise dans l’exécution du contrat de travail. Le travailleur peut donc être cité devant les juridictions répressives et, le cas échéant, condamné.
Limitation de responsabilité prévue par le contrat avec le client
Le deuxième alinéa du §2 de l’article 6.3 (précité) précise que si la personne lésée demande au travailleur la réparation d'un dommage, le travailleur peut invoquer les moyens de défense découlant du contrat signé entre l’employeur et le client, sauf pour les actions en réparation d'un dommage résultant d'une atteinte à l'intégrité physique ou psychique ou d'une faute commise avec l'intention de causer un dommage. Un employeur prudent peut donc veiller à adapter les conditions des contrats passés avec les clients. Moyennant l’inclusion de certaines clauses, il est possible d’éliminer ou de limiter la responsabilité extracontractuelle directe des travailleurs. Un employeur prudent peut également contacter son assureur et convenir de couvrir ce nouveau risque par l’assurance responsabilité professionnelle ou une autre assurance.