Egales/Inégaux

Toutes les personnes humaines sont égales. C’est un principe indispensable, pour éviter la guerre de tous contre tous et la barbarie. Et c’est d’ailleurs aussi le seul chemin pour conserver une Terre habitable : l’inégalité pollue autant que le pétrole ! Et pourtant, tout autour de nous, l’inégalité saute aux yeux. Entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, entre les caissières de Delhaize et les actionnaires. Entre l’espérance de vie d’un ouvrier et celle d’un cadre. Entre un enfant qui naîtra demain au Soudan ou chez nous…
Cette exigence d’égalité n’a rien à voir avec l’identité. Je n’ai pas besoin de vous ressembler pour que nous soyons égaux. Les femmes n’attendront pas d’être « comme des hommes » pour bénéficier des mêmes droits, ni les migrants de devenir « blancs », ni les pauvres de devenir millionnaires.
Entre cette exigence d’égalité et l’inégalité partout constatée, il y a un long chemin. Un combat que nos grands-parents ont commencé : ils nous ont débarrassés des Rois de droit divin, de l’esclavage, du travail des enfants, de la soumission des femmes à leur mari …
Dans ce combat pour l’égalité réelle, notre arme essentielle ce sont les droits. Je ne veux pas que mon égale dignité et mon égale liberté dépendent du bon vouloir d’un Prince, d’un Chef ou d’un Mari. J’y ai droit, je veux que ces droits soient écrits, défendus, réalisés.
Or, c’est là que les choses se compliquent. Autant l’égalité entre les personnes est notre boussole (peut-être la seule), autant croire ou faire croire que tous les droits se valent est le plus sûr moyen de se perdre.
J’ai bien sûr le droit d’entrer dans un magasin (si j’ai par exemple envie d’un yaourt à la fraise). J’ai le droit d’aller travailler demain matin. Et, face à une injustice ou à une menace, les travailleurs ont le droit de faire grève, de fermer une entreprise, de manifester leur opposition à une politique injuste. Mais qu’advient-il quand ces droits s’opposent entre eux ? Quand le magasin où je voudrais acheter un yaourt (ou bien aller travailler) est en grève ? Répondre « chacun fait ce qui lui plaît » est paresseux ou cynique. Car chaque exercice d’un droit de faire ceci ou cela renvoie (ou pas) à un droit fondamental, un droit d’être humain digne, libre et égal. Les textes internationaux énoncent clairement ces droits fondamentaux : à la vie, à l’intégrité physique, à un emploi digne et libre choisi, à la protection sociale, etc. Et à l’action collective et la grève.
Être privé de son yaourt préféré, ou empêché de faire son travail habituel durant le temps de la grève, ne mettra jamais en danger ma vie ni ma dignité. Faire échouer une grève ou un combat collectif pour la justice, c’est par contre refuser aux autres leurs droits fondamentaux.
Actionnaires, patrons et libérauxs’ingénient à nous faire prendre tous les droits comme des caprices individuels interchangeables. Faisons très attention. Nous, nos familles, la classe des employé-es et ouvrier-es, celle qui doit travailler pour vivre, ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour défendre nos intérêts et nos droits. Qui sont globalement opposés à leurs intérêts à eux. Nous avons besoin d’égalité, eux jouissent des avantages de l’inégalité. Nous avons besoin de droitspour rendre la société plus égale, eux tiennent à leurs privilèges. Nos droits fondamentaux, y compris celui de faire des grèves efficaces, ne pourront jamais, comme ils le voudraient, être mis sur le même plan que les droits individuels de « chacun fait ce qui lui plaît ». Pour les questions importantes, la clé n’est pas « ma liberté s’arrête quand commence celle des autres ». C’est : « notre liberté réelle commence quand nous exerçons ensemble nos droits fondamentaux face à l’injustice et aux inégalités »
Felipe Van Keirsbilck