CCT 32bis - Il y a des trous dans la raquette !

La CCT 32bis est une question de faits. Elle s’applique automatiquement à toutes les situations qui en remplissent les conditions.
Le transfert doit tout d’abord porter sur une « entreprise-organisation », c’est-à-dire sur un « ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité économique ». Il doit s’agir d’une entité suffisamment structurée et autonome pour être exploitée de manière indépendante (par exemple, un magasin doté d’un fonds de commerce ou un restaurant d’entreprise doté de locaux et d’équipements propres). La jurisprudence enseigne qu’il faut examiner, dans leur ensemble, le sort réservé, notamment, aux éléments matériels/corporels (bâtiments, outillages, matériaux, marchandises, etc.), aux éléments immatériels/incorporels (contrat de bail, enseigne, nom commercial, marques, brevets, etc.), au personnel, à la clientèle, à l’activité elle-même (poursuivie de manière similaire ou non). L’analyse ne sera pas la même d’un secteur d’activités à l’autre. En outre, pour que la CCT 32bis s’applique, il faut que ce transfert s’accompagne d’un changement d’employeur et qu’il y ait un « accord » (même tacite ou indirect) entre l’ancien employeur (appelé « cédant ») et le nouvel employeur (appelé « cessionnaire »).
Bref, le constat n’est pas toujours facile à poser.
Principes
La CCT 32bis prévoit la continuité automatique de tous les contrats de travail, le maintien des conditions de travail des travailleurs transférés et une interdiction de licenciement en raison du transfert. En cas d’insolvabilité, cette CCT prévoit également une responsabilité solidaire de l’ancien et du nouvel employeur concernant les dettes liées aux prestations de travail effectuées jusqu’à la date du transfert (par exemple, des arriérés de salaire ou le prorata de la prime de fin d’année). Ce sont des principes importants destinés à protéger les travailleurs si d’aventure leur « entreprise-organisation » était vendue à un autre propriétaire.
Cela étant, dans certains contextes, il peut arriver que cette protection fasse naître un risque pour les travailleurs. Pour ceux qui seraient déjà occupés par le « nouvel employeur » ou qui seraient embauchés après le transfert, l’employeur peut appliquer d’autres règles et dès lors, ceux-là peuvent avoir un statut moins favorable. Les travailleurs transférés, qui conservent en principe leurs meilleures conditions d’emploi, deviennent généralement des cibles pour l’employeur, qui n’a de cesse de supprimer ces différences, en harmonisant les conditions vers le bas ou en licenciant les travailleurs repris (qui soi-disant « coûteraient trop chers »).
Effectivité
Lorsque les travailleurs font l’inventaire des droits à reprendre par le nouvel employeur, il arrive que l’ancien et/ou le nouvel employeur se mettent à contester de nombreux droits que les travailleurs pensaient acquis (par exemple, les futures augmentations salariales annuelles liées à l’ancienneté, pourtant prévues par des CCT, ou des droits acquis en vertu de textes qui semblent perdus). Il arrive également que l’ancien et/ou le nouvel employeur contestent l’application même de la CCT 32bis, arguant que la situation concernée ne remplit pas les critères pour que la CCT 32bis s’applique.
Si l’ancien et/ou le nouvel employeur ne respectent pas les principes évoqués plus haut, la CCT 32bis ne prévoit aucune sanction. Pour faire valoir leur droit, les travailleurs n’ont d’autre choix que de se lancer dans une procédure judiciaire longue et incertaine, ce que très peu d’entre eux sont prêts à faire. Et en cas de licenciement, par exemple, que pourraient-ils espérer d’une telle procédure ? Si le juge décide que l’employeur, malgré l’interdiction, a bel et bien licencié le travailleur pour ne pas devoir le garder, l’employeur ne serait redevable que d’une sanction équivalente à 3 à 17 semaines de salaire (« pour licenciement manifestement déraisonnable » selon les termes de la CCT 109). Bref, la CCT 32bis manque clairement d’efficacité.
Limites
Quand bien même le nouvel employeur respecterait-il à 100% la CCT 32bis (ce dont il faut encore s’assurer), quelles sont les garanties que cette CCT n’offre de toute façon pas ?
Très souvent, des réorganisations de l'entreprise sont opérées avant ou après le transfert et impliquent une réduction du personnel occupé. En principe, le nouvel employeur doit reprendre tous les travailleurs occupés dans l’entreprise ou la partie d’entreprise transférée, mais par dérogation, il peut procéder à des licenciements « pour des raisons techniques ou économiques ou organisationnelles ». Cette notion étant mal définie, la protection contre le licenciement en devient très relative…
Lorsque le transfert entraîne un changement de commission paritaire (CP), on constate bien souvent que les conditions de travail prévues par les CCT de la nouvelle CP sont bien moins avantageuses que celles prévues par les CCT de l’ancienne CP. Selon la position du SPF Emploi (la jurisprudence et la doctrine étant divisées sur la question), le nouvel employeur n’est plus tenu de respecter les dispositions sectorielles obligatoires issues de l’ancienne CP. Tout au plus ces dispositions subsistent-elles comme des droits individuels repris implicitement (« incorporés ») dans les contrats de travail de chaque travailleur, à moins que la CCT concernée n'exclue explicitement une telle « incorporation ». L’employeur peut donc les modifier par simple avenant au contrat de travail (suite à des pressions de type : « acceptez ou vous serez licenciés »), ou les écarter sur la base d’une CCT d’entreprise qui prévoirait d’autres dispositions.
En principe, le nouvel employeur doit respecter les CCT d’entreprise conclues avec l’employeur précédent. Toutefois, la législation lui permet de ne plus appliquer (de « dénoncer ») les CCT qui ne lui conviendraient pas, au terme d’un certain délai (en général, 3 ou 6 mois). Ces droits ne subsistent alors que comme des droits individuels repris implicitement dans les contrats de travail de chaque travailleur (sauf si la CCT prévoit le contraire). De nouveau, l’employeur peut donc supprimer ces droits par simple avenant au contrat de travail, ou les écarter sur la base d’une autre CCT d’entreprise qui prévoirait d’autres dispositions.
La CCT 32bis n’impose pas que le nouvel employeur maintienne les régimes complémentaires de prestations sociales, tels que les assurances-groupe et les assurances-hospitalisation, ni les compléments d’entreprise RCC. Si ces avantages n’ont pas été prévus par une CCT (cf. point précédent), le nouvel employeur est donc libre de les supprimer.
Au-delà du maintien des conditions de travail prévues par la CCT 32bis (dans les limites que nous venons d’évoquer), se pose la question de la continuité (ou non) de la représentation collective des travailleurs, qui conditionne largement la possibilité de construire un rapport de force syndical dans l’entreprise et à faire pression sur l’employeur pour qu’il respecte, au minimum, la législation sociale. Cette question n’est pas réglée dans la CCT 32bis mais dans les lois respectives relatives au Comité d’entreprise (CE) et au Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ainsi que dans la CCT sectorielle fixant le statut de la délégation syndicale (si une telle CCT existe, ce qui n’est pas toujours le cas).
La CCT 32bis, qu’en penser ?
La CCT 32bis contient de nombreux principes protecteurs pour les travailleurs. Malheureusement, ces principes manquent clairement d’effectivité, en particulier lorsqu’on constate que l’ancien et/ou le nouvel employeur, dans les faits, les ignorent ou les contournent. La vigilance reste de mise. La CCT 32bis n’est que le point de départ de la négociation collective, qui reste nécessaire sur de nombreux points, en particulier lorsque le transfert d’entreprise entraîne un changement de CP. Pour ce type de situation comme pour d’autres, il faut bien reconnaître que la CCT 32bis, c’est mieux que rien, mais ce n’est pas la panacée.
Jean-François Libotte