Démocratie énergétique contre TCE
La réduction des coûts de l’énergie est au menu des gouvernements. Le plafonnement des prix, la taxation des surprofits des producteurs d’énergie, la transformation des mécanismes de tarification sont, ou proposés, ou adoptés. À première vue, les gouvernements sont libres de les mettre en œuvre. En pratique, ils doivent tenir compte des attaques juridiques qu’ils pourraient subir de la part des multinationales de l’énergie. Celles-ci sont puissantes et leur pouvoir repose notamment sur le Traité sur la charte de l’énergie (TCE). Ce traité international a été signé en 1994 par une bonne cinquantaine d’États, dont tous les États membres de l’UE. Officiellement, il facilite la coopération énergétique au niveau international. En pratique, il réduit l’influence des gouvernements sur les choix énergétiques et accroît celle des multinationales. Et cela grâce au tribunal arbitral contenu dans le TCE. Si un gouvernement décide de plafonner les prix de l’énergie ou d’interdire certaines formes d’énergie fortement émettrices de carbone, et si des multinationales estiment que ces décisions réduisent leurs profits, elles peuvent porter plainte devant ce pseudo-tribunal. Si elles gagnent le procès, le gouvernement leur paiera un dédommagement financier qui atteint des sommes considérables, des dizaines voire des centaines de millions d’euros. Souvent, les multinationales n’ont même pas à porter plainte. La crainte d’être attaqué dissuadera un gouvernement de trop réglementer son secteur de l’énergie. Et le citoyen n’y verra que du feu.
Des États ouvrent les yeux
En 2006, la Hongrie a établi un système de prix réglementés en vue de limiter les profits excessifs des producteurs d’énergie. Ce système a été jugé conforme au droit européen, mais n’a pas empêché la Hongrie d’être attaquée par un investisseur britannique et la firme belge Electrabel sur base du TCE1. Le tribunal a rejeté la plainte, mais un autre tribunal arbitral aurait pu faire le contraire, tant ces sentences sont aléatoires. Le TCE est aussi utilisé pour s’opposer à la transition bas carbone. En 2021, la firme d’énergie allemande RWE a lancé une plainte contre les Pays-Bas, suite à la décision de ce pays de fermer ses centrales à charbon d’ici à 2030. C’est pourquoi, depuis des années, la CNE et de nombreux mouvements sociaux dénoncent le TCE, les tribunaux d’arbitrage et les traités d’investissement qui leur servent de véhicule juridique. Le TCE est un traité particulièrement toxique. Il aurait suscité à lui seul 135 plaintes de multinationales contre des États, dont 88 sont purement intra-européennesé2. La situation est telle que les gouvernements européens, pourtant fer de lance du TCE à sa naissance, ouvrent les yeux. Le Haut conseil pour le climat, une instance officielle du gouvernement français, a demandé récemment le retrait de la France du TCE3. Le Haut conseil juge le TCE incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. Dès 2015, l’Italie s’était retirée du TCE. Un nombre croissant d’États ont décidé de la suivre récemment : France, Pays-Bas, Slovénie, Espagne, Pologne, Allemagne.
Et la Belgique ?
Le gouvernement wallon veut lui aussi que la Belgique sorte du TCE. Tout comme le Haut conseil français et les pays précités, elle estime que la « modernisation » du traité proposée par la Commission européenne est une mascarade. Elle ne permettrait que des changements cosmétiques du TCE. La Flandre soutient au contraire cette modernisation, ce qui empêche la sortie de la Belgique du TCE. Le 17 novembre dernier, une action était organisée par la Plateforme belge pour le commerce juste et durable pour exiger la sortie de la Belgique du TCE. Plus largement, le TCE démontre la toxicité des traités de libre-échange sous leur forme actuelle (CETA, TTIP…), et la nécessité de continuer à les combattre.
Etienne Lebeau
1 Cf. Entraide & Fraternité, « Le Traité sur la Charte de l’énergie, ennemi de la lutte contre la précarité énergétique ».
2 C’est-à-dire une plainte d’une multinationale d’un État membre contre un gouvernement d’un autre État membre.
3 Avis sur la modernisation du Traité sur la Charte de l'Energie — Haut Conseil pour le Climat (hautconseilclimat.fr)
