William Morris - L’art dans tout

Au 19e siècle, l’Angleterre, alors première puissance économique mondiale, connaît les prémices d’une prise de conscience sociale. Le pays est riche mais ses travailleurs sont pauvres. Le smog recouvre le pays, le ciel est devenu invisible. Les fameux paysages anglais, cette fierté nationale, disparaissent, les savoir-faire se perdent.
« Comment vivre bien dans un monde laid, où les choses sont faites sans âme par des esclaves ? », s’interroge une poignée d’artistes, dont William Morris (1834-1896). En s’inspirant d’une autre époque, le Gothique, de gloire et de piété, pour en retrouver les valeurs morales et les réinsuffler dans cette époque moderne vide de sens. Dans le Gothique, tout part de la structure, tout est utile et connecté par un principe unificateur, comme un arbre. Avec ses amis Burne-Jones, Dante Gabriele Rossetti, ou Ford Madox Brown, ils forment une sorte de confrérie, avec pour maître l’historien de l’art John Ruskin, et pour idéal : vivre dans la beauté. Ils rejettent l’art officiel inspiré de la Renaissance italienne enseigné dans les académies et prennent pour modèle la peinture des artistes antérieurs à la « manière moderne » de Raphaël, ceux qu’on appelle alors les Primitifs : Giotto, Fra Angelico, entre autres, ou encore Van Eyck.
Beau et utile
William Morris, peintre mais également graveur, typographe ou relieur, vouera sa vie à cet idéal : créer des objets beaux, faits honnêtement, par des gens heureux. Il construira une maison idéale, la Red House, véritable manifeste du mouvement, austère mais ancrée dans la nature, dont la structure est déterminée par le mode de vie de ses habitants et leur qualité de vie. Il sera toute sa vie un vrai bourreau de travail, maîtrisant toutes les techniques et tous les stades de la fabrication. En 1861, il crée la Arts & Crafts Company, qui produira des objets utiles, fonctionnels et beaux, faits de matière noble, dans des conditions dignes. Il offre à ses employés de meilleures rémunérations et refuse, au contraire de presque toutes les autres compagnies londoniennes, de faire travailler des enfants. Le succès est immédiat. L’exposition du musée d'art et d’industrie de Roubaix, La Piscine, propose aux visiteurs de s’immerger dans le monde de William Morris : des peintures de ses amis de la Confrérie des Préraphaélites, des dessins, du mobilier et textiles provenant de collections publiques anglaises, notamment la Tate Britain et le Victoria and Albert Museum, mais aussi du musée d’Orsay. Ainsi ces très belles recherches à l’aquarelle pour les merveilleux papiers peints aux rinceaux fluides, ou encore cette fabuleuse tapisserie, « l’Adoration des mages », aux couleurs intenses. Une salle entière est consacrée à la fameuse Red House.
Le musée La Piscine, outre sa très belle architecture, s’inscrit complètement dans cette démarche. Son créateur, Victor Chapier, a fait rentrer, au début du 20e siècle, les « arts décoratifs » dans ces lieux jusque-là réservés aux « arts majeurs ». Il s’est d’ailleurs inspiré en cela de l’exemple anglais du Victoria and Albert Museum, à Londres, créé par le mari de la Reine pour redynamiser l’artisanat anglais.
Une citation de William Morris reprise sur les murs tendus de ces merveilleux papiers peints résonne encore : « Ne gardez rien chez vous que vous ne sachiez utile ou que vous ne trouviez beau ». Bien mieux que Marie Kondo…
Linda Léonard
William Morris, « L’art dans tout », jusqu’au 8 janvier 2023 au musée La Piscine à Roubaix. 11€.
La Red House à Bexleyheath, au sud-est de Londres.