13/12/2021
David Murgia - Celui qui choisit la radicalité

David Murgia est comédien, bruxellois, mais aussi d’Espagne ou de Sardaigne. Sur une terrasse de Saint-Gilles, il nous parle de son enfance, à l’ombre des terrils, de politique et de radicalité.
J’ai eu une enfance plutôt non-politisée. Fils d’ouvrier, mais ouvrier atomisé, papa plafonneur pour des petits patrons, toujours sur des chantiers ; maman coiffeuse depuis l’âge de 14 ans. On ne parlait jamais de politique à la maison, mais, à l’adolescence, la politique était partout, dans la cour de récréation, dans les inégalités sociales autour de nous. Je viens d’une petite banlieue bétonnée de Liège, un ex-campagnes avec des mines de charbon et des terrils, là où toutes les migrations s’entassent. La politique était observable, on se rend compte assez vite des inégalités.
Et puis, plus tard, quand on sort d’une école d’art, on s’affilie à un syndicat avant tout parce qu’il est un organisme de paiement. Et là, s’instaure une relation très étrange et dangereuse selon moi. Parce que, plutôt que de fédérer les travailleurs sans statut à réclamer des conditions sociales dignes, plutôt que de construire des revendications dans une lutte, on est juste dans un rapport administratif et dépolitisé. Ce manque de lien politique dans un espace qui doit être éminemment politique est dangereux parce qu’il crée une désaffiliation importante.
Moi c’est à travers l’histoire du théâtre que j’ai appris le rôle du politique, du syndicalisme, de la lutte. Je connais les grèves de 60, la guerre d’Espagne, ce que peut un syndicat dans une situation politique forte. Dans tous les pays où il y a un syndicat, les conditions de travail sont bien meilleures, les inégalités se réduisent, mais ça ne m’empêche pas d’avoir un discours critique, ce que ne produit pas le syndicat pour l’instant. On est tous actuellement dans cette pensée managériale, sans classe, où on serait tous dans le même bateau. Comme si on était tous un peu de la même famille, avec les mêmes objectifs ! C’est quand même une pensée très dangereuse. Il faut retrouver un rapport de force, c’est indispensable dans cette époque où on tente de tout « moyenniser », de tout harmoniser.
Mais le syndicat, ce sont les travailleurs qui le font. Et pour le récupérer, il faut l’investir, même si ces grosses machines sont parfois décourageantes. Quand on est artiste, on est chômeur parce qu’on n’a pas de statut. Et plutôt que de fédérer les travailleurs sans statut à réclamer des conditions sociales dignes, plutôt que de construire des revendications dans une lutte, on est parfois là juste pour vérifier que toutes les cases sont bien cochées…
Les syndicats ont été créés aux cœurs de usines. Mais que fait-on aujourd’hui quand il n’y a plus d’usine ? Quand il n’y a plus de CDI, quand les gens sans papier travaillent dans les arrière-cuisines des restos ? Comment défend-on les travailleurs ? Parce que c’est ça l’enjeu, défendre les travailleurs et pas ceux qui ont déjà obtenu des conditions sociales stables et dignes. L‘enjeu c’est de combattre l’indignité, partout où elle se trouve, et de créer des statuts là où il n’y en a pas.
Le syndicat devrait tenter l’exercice de la radicalité, de la non compromission. Les motifs qui mettent en action doivent être plus dynamiques et plus complexes. Pendant toute cette année écoulée, il y avait de vraies inventions à faire avec le secteur culturel et on l’a fait un peu, quand on a occupé ensemble le Théâtre de la Monnaie. Ça pourrait se faire plus ! Si le syndicat étend ses motifs d’action, il va trouver d’autres identités à défendre, et donc aussi inventer de nouveaux modèles d’action.
Propos recueillis par Linda Léonard
Bon à savoir
Avec d'autres, la CNE a créé CSC CULTURE, première plateforme intégrée des travailleurs de la culture, quel que soit leur demande, leur employeur ou leur statut.