Les maladies professionnelles constituent la branche oubliée et méconnue de la Sécurité sociale. Les rares travailleurs confrontés à ce régime en gardent souvent un goût amer tant la reconnaissance d’une maladie est compliquée, en dépit parfois des évidences. Cette branche est pourtant bien d’actualité en raison du coronavirus, mais aussi du burn-out, l’autre épidémie liée au travail. Les deux phénomènes concernent surtout les femmes : 84% des coronavirus reconnus d’origine professionnelle ont touché des femmes, et le burn-out atteint davantage les femmes qui sont souvent soumises à plus de stress que les hommes. Révisons nos classiques : après Socrate, Platon et Aristote, les maladies professionnelles.
Fonctionnement du régime
Cette branche de la Sécurité sociale vise à indemniser les travailleurs atteints d’une maladie dont l’origine se trouve dans leur activité professionnelle. Le nœud de ce régime réside dans l’établissement du lien entre l’emploi et le trouble de santé. Pour démontrer cette causalité, il convient de distinguer deux situations selon que la maladie professionnelle est reconnue ou non par l’administration.
1. Maladie reconnue : lorsque l’affection est reconnue, le lien entre l’exposition à un risque professionnel déterminé et le développement d’un trouble particulier est présumé. Le travailleur doit uniquement apporter la preuve de sa maladie et de son exposition au risque en question. Il existe alors une présomption que le second est à l’origine de la première. Cette présomption ne peut pas être renversée (elle est dite “irréfragable”, bonne chance pour le Scrabble). La liste des affections reconnues est reprise sur le site de l’administration (Agence fédérale des risques professionnels (Fedris)). Les troubles listés sont tous d’ordre physique et causés par une exposition à des substances ou agents de nature biologique, chimique ou physique. Par ailleurs, les entreprises concernées par les risques professionnels doivent en tenir compte dans leur politique de santé et sécurité au travail (pour plus de détail, nous vous renvoyons vers la chronique juridique du mois de juin 2020).
2. Maladie non-reconnue : hors de la liste, point de salut ? Nenni. Il est possible d’obtenir de Fedris la reconnaissance de l’origine professionnelle de sa maladie. Pour cela, il faut prouver l’exposition au risque durant le travail et l‘existence du trouble de santé, mais surtout, apporter la preuve de la causalité entre les deux. Selon la formule légale, la maladie doit trouver “sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession”. En pratique, la démonstration de la causalité est difficile, tant les origines des affections peuvent être variées. Heureusement, la Cour de cassation (juridiction judiciaire suprême) est venue alléger la charge de la preuve des travailleurs concernés. Plutôt que de constituer une cause exclusive ou principale, la justice accepte aussi que l’emploi ait seulement aggravé la maladie. Cela permet aux personnes qui souffrent de prédispositions à certains troubles de bénéficier aussi du régime des maladies professionnelles.
Une fois que l’origine professionnelle du trouble est attestée, le travailleur a droit à trois prestations financières de Fedris : premièrement, une indemnité (90% du salaire brut) pour la durée de l'incapacité de travail si celle-ci excède quinze jours ; deuxièmement, le remboursement des frais médicaux non-pris en charge par l’assurance maladie-invalidité (à savoir le ticket modérateur et certaines prestations spécifiques) ; troisièmement, le remboursement des frais de déplacement liés au traitement médical. Fedris peut également proposer au travailleur d’arrêter son emploi nocif, s'il accepte, il reçoit alors une indemnité (100% du salaire brut) pendant nonante jours ainsi qu’un accès gratuit à une réadaptation professionnelle. Une indemnité complémentaire peut aussi être octroyée si les chances de retrouver un emploi sont diminuées par la maladie.
En cas de décès des suites de la maladie professionnelle, le conjoint du défunt a droit à une indemnité (30% du salaire brut) à vie et ses enfants ont chacun droit à une indemnité (15% du salaire brut) tant qu’ils perçoivent les allocations familiales (et un complément à tout cela est prévu pour les frais funéraires). Ces multiples droits sociaux permettent de comprendre l'importance d’une reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie : dans le régime de l’assurance maladie-invalidité, les indemnités et remboursements sont plus faibles.
Le cas particulier du coronavirus
En fonction des enquêtes, entre 30% et 50% des personnes contaminées au Coronavirus l’ont contracté sur leur lieu de travail. Dans bien des cas, cette maladie trouve donc " sa source déterminante et directe dans l’exercice de la profession ". Pourtant, le Coronavirus n’a pas été totalement mis sur la liste des maladies professionnelles reconnues. Il a seulement été reconnu dans deux situations : (1) pour les travailleurs des secteurs cruciaux et essentiels entre le 18 mars et le 17 juin (période de confinement strict) ; et (2) pour les travailleurs du secteur des soins de santé qui sont directement confrontés au coronavirus dans leurs activités (sans limite de temps). Pour ces deux catégories, le lien de causalité entre l’exposition au risque et le développement de la maladie est donc présumé de manière irréfragable. Les seules preuves du travail et de l’affection physique suffisent.
En revanche, tous les autres travailleurs (par exemple, des vendeurs en magasins aujourd’hui) se retrouvent dans le système des maladies non-reconnues. En cas d’infection, ils doivent alors démontrer l’exposition de leur travail au coronavirus (est-il possible que ce ne soit pas le cas ?), leur maladie, et surtout la causalité entre les deux. Apporter la preuve, avec certitude, que la contraction a eu lieu en raison de l’exercice des fonctions se révèle une tâche quasiment impossible. Comment démontrer que la maladie s'est propagée au travail plutôt qu’à domicile ou dans un magasin ? À moins d’un cluster sur un lieu d’activités contaminant beaucoup de personnes, le régime des maladies professionnelles est bien inutile pour les travailleurs atteints par le Coronavirus.
Burn-out : l’autre épidémie liée au travail
Dans le rayon des maladies professionnelles, le syndrome d’épuisement professionnel (burn-out) est aujourd’hui très répandu. Contrairement au nombre d’accidents et maladies physiques dus au travail qui reste stable d’année en année, celui des affections psychiques explose. En Belgique en 2018, plus de 90.000 travailleurs étaient indemnisés par l’INAMI en raison d’une dépression ou d’un burn-out, un chiffre qui a doublé en dix ans. Malgré l’ampleur du phénomène, l’épuisement professionnel demeure absent de la liste des maladies professionnelles reconnues. La reconnaissance ponctuelle d’un burn-out impose donc au travailleur de prouver avec certitude que sa fonction présente un risque spécifique et que le trouble est causé par cette activité. Mission quasi impossible.
À défaut d’une inscription sur la liste de Fedris, l’épuisement professionnel est actuellement qualifié de “maladie en relation avec le travail”. Il s’agit d’un trouble dont la “cause partielle” se trouve “dans une exposition à une influence nocive, inhérente à l’activité professionnelle”. Le présupposé de cette formulation officielle est que le travailleur est en partie responsable de son affection mentale. Cette situation grave illustre la méconnaissance par l’autorité publique des méthodes modernes de gestion des entreprises. Pour le moment, la seule action de Fedris vis-à-vis du burn-out est la mise en place d’un projet-pilote d’accompagnement pour les travailleurs proches ou à un stade précoce de l’épuisement professionnel. Cela n’atteint même pas la cheville du défi que nous devons relever. À l’heure où les troubles mentaux explosent à cause de la crise sanitaire, n’est-il pas temps de reconnaître enfin le burn-out, ce mal du siècle, dans la liste des maladies professionnelles ?
François-Xavier Lievens