Géolocalisation : comment protéger votre vie privée ?

CNE
Cette chronique juridique est la deuxième d’une série consacrée à votre vie privée au boulot. Chaque chronique de la série traite d’un aspect lié à votre droit à la vie privée au travail. Ce mois-ci : vos droits face à la géolocalisation.
La géolocalisation est un système qui permet de localiser une personne à l’aide d’une combinaison des technologies GPS et GSM. Le procédé vise à positionner un objet (véhicule…) à un certain moment sur un plan ou une carte à l’aide de ses coordonnées géographiques. Cette information peut être mise en rapport avec d’autres données, comme le temps de conduite, les temps d’arrêts, la vitesse moyenne, les routes parcourues, les entrées/sorties de zones…
Il existe différents systèmes de contrôle : GSM, GPS/Galileo (satellite), wifi, adresse IP (banque de données), badges d’accès, identification biométrique, appareils d’identification et de légalisation, chip, pointage, caméras de surveillance, etc. Ainsi, il est possible d’équiper les voitures de société, les véhicules de service, les GSM, les smartphones, les ordinateurs, le réseau interne de l’entreprise… d’un système de traçage. L’installation d’un système de géolocalisation vise à localiser l’objet ou la personne en temps réel et avec précision.
Cadre juridique fondamental
Les articles 124 et 125 de la loi du 13 juin 2005 garantissent le droit au respect de la vie privée. Ils doivent être lus en concordance avec le RGPD (voir Droit de l’Employé de janvier 2019). Il est ainsi interdit, pour toute personne, de prendre connaissance de données de communication électronique d’une autre personne, de manière intentionnelle. Cette interdiction peut toutefois être levée, moyennant l’accord de la personne concernée. Cela comprend les conversations téléphoniques, les échanges de mails, les visites sur Internet, de même que l’identification des émetteurs, des destinataires, du moment et de la durée de la communication. Elle comprend également les données de localisation de l’émetteur, plus communément appelées données de géolocalisation.
Respect des principes
La finalité
Les finalités doivent être spécifiques et expressément décrites à l’avance.
Le système permet de traiter des données relatives à une personne mais doit impérativement répondre à des objectifs bien déterminés et justifiés, comme :
• la sécurité du travailleur, par exemple les agents de gardiennage, qui lors de l’exécution de leurs tâches et pour leur propre sécurité, doivent rester connectés à la centrale d’appel de l’entreprise de gardiennage ou du service interne de surveillance de l’endroit où ils sont occupés ;
• la protection du véhicule de service, par exemple la fourniture d’informations en rapport avec l’intervention des services de police et de secours lors d’un vol de voiture ;
• les nécessités professionnelles relatives au transport et à la logistique, par exemple, la gestion du parc automobile ;
• le contrôle des tâches effectuées par le travailleur.
La proportionnalité
Le traitement des données en lui-même ainsi que les données traitées doivent être adéquats, pertinents et non excessifs au regard des finalités pour lesquelles elles sont recueillies et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. Elles doivent ainsi répondre à une exigence de proportionnalité.
Si le système de géolocalisation est installé en vue de contrôler le travail confié aux travailleurs, il doit s’agir de contrôles ponctuels et justifiés par des indices faisant soupçonner des abus de la part de certains travailleurs. De plus, les travailleurs qui feront l’objet du contrôle devront en être informés au préalable.
Le traitement des données de géolocalisation doit se limiter aux chauffeurs des véhicules de service et aux déplacements effectués avec ceux-ci pendant les heures de travail ou lors des prestations professionnelles.
Un contrôle continu est exclu sauf pour des raisons de sécurité, comme par exemple, un transport nucléaire ou un transport de fonds.
Un contrôle régulier se justifie s’il est en lien direct avec le type de travail presté, mais principalement dans un objectif d’optimiser la gestion des déplacements effectués par des véhicules professionnels. Dans cette optique, l’employeur a la possibilité d’effectuer des contrôles tout au long de la journée, sans pour autant contrôler les voitures de manière permanente.
La transparence
Les travailleurs concernés ont droit à une large information :
• qui fait l’objet d’un contrôle ?
• quels sont les types d’abus qui justifient un contrôle ?
• quelle est la durée des contrôles ?
• quelle est la procédure qui sera suivie après le contrôle ?
L’employeur n’a en tout cas pas le droit de traiter des données sans en informer le travailleur qui en fait l’objet.
Le consentement du travailleur
L’employeur doit obtenir le consentement qualifié et dénué de toute ambiguïté du travailleur s’il veut mettre en place un système de géolocalisation.
Le consentement doit avoir lieu dans certaines circonstances ou répondre aux conditions suivantes. Il doit être :
• individuel : c’est-à-dire qu’il doit être donné par le travailleur lui-même ;
• libre : le travailleur ne doit pas être forcé à donner son consentement ;
• préalable : le travailleur a donné son consentement avant toute ingérence dans sa vie privée ;
• particulier : chaque fois qu’un système est installé, le consentement du travailleur doit être obtenu ;
• révocable : le travailleur a le droit de revenir sur sa décision.
En plus, le travailleur doit être bien informé et doit pouvoir mesurer la portée de son autorisation.
Le consentement peut éventuellement être donné en signant un document spécifique.
Activation/désactivation du système
Les dispositifs de géolocalisation sont équipés d’un système d’interrupteur permettant aux travailleurs d’activer ou de désactiver le système en fonction de ses nécessités en termes de localisation, par exemple, à l’arrivée et au départ de chaque destination. Les travailleurs doivent en tout cas avoir la possibilité de le désactiver en dehors des heures de travail (week-end, heure de midi, lors de ses absences en raison de son incapacité de travail).
En conclusion
Chaque fois qu’il sera question de mettre sur pied un système de surveillance, un examen approfondi des alternatives envisageables permettra de contrôler avec la même efficacité, mais en préservant mieux la vie privée du travailleur. La géolocalisation est souvent un moyen de contrôle beaucoup trop intrusif et, en ce sens, il faut pouvoir faire valoir son droit au respect de la vie privée. Même au travail, le travailleur ne cesse pas d’être un citoyen.
Le bon réflexe
1. En cas de contrôle dans votre entreprise, posez-vous les questions suivantes :
• Le contrôle dont il est question est-il lié à la relation de travail ?
• le contrôle porte-t-il sur des éléments légitimes, c’est-à-dire des éléments que l’employeur a le droit de connaître et qui le concernent ?
• La méthode suivie est-elle adaptée au but poursuivi et n’en existe-t-il pas de plus simple et de moins invasive ?
• Le contrôle répond-il aux exigences de transparence, à savoir, faire l’objet d’une discussion collective, d’une annonce à chaque membre du personnel ?
• Quels sont les arguments collectifs et individuels que l’on peut tirer des défauts de la procédure de contrôle ?
2. Si ce n’est pas le cas, rappelez les règles de droit à votre employeur :
• les interdictions légales visant au respect de la vie privée : la loi sur le traitement des données à caractère personnel du 8 décembre 1992 et le RGPD indiquent de quelle manière il est permis de traiter des données de nature personnelle ;
• la législation sur le règlement de travail : l’employeur est obligé de mentionner, par ordre croissant d’importance, trois éléments dans le règlement de travail : la liste des fautes graves, les pénalités et sanctions ainsi que la procédure pour les infliger et, enfin, les droits et les obligations du personnel de contrôle. Ce sera le plus souvent votre argument le plus fort pour contraindre l’employeur à la discussion.
3. De manière générale, retenez que :
• le contrôle ne peut pas être permanent (possibilité de désactiver le système en-dehors des heures de travail) ;
• la méthode de géolocalisation doit être nécessaire à l’exécution du contrat de travail (données pertinentes, adéquates et non excessives) ;
• vous et vos représentants syndicaux devez être informés (et consultés) au préalable ;
• votre consentement individuel doit être donné ;
• des mesures de sécurité limitant l’accès des données aux personnes habilitées doivent être prévues ;
• le contrôle doit être limité dans le temps : durée de conservation adéquate et proportionnée !
Sébastien Robeet