Missions diplomatiques : les travailleurs enfin reconnus !
Enfin un vrai statut pour des dizaines de milliers de travailleurs dans le secteur des Missions Diplomatiques. Rencontre avec Laure Mesnil, permanente CNE en charge de ce dossier.
En quoi consiste le secteur des Missions Diplomatiques ?
Le secteur des Missions Diplomatiques regroupe 15.000 travailleurs : des chauffeurs, des domestiques, du personnel administratif ou technique... Ce sont des gens qui travaillent dans des ambassades, des consulats, des représentations permanentes auprès de l’UE ou de l’OTAN, des représentations régionales comme la Catalogne, ou dans des instituts culturels touristiques ou économiques attachés à des missions diplomatiques. Ce sont des profils de travailleurs très différents : certains gagnent assez bien leur vie alors que d’autres sont presque réduits à l’esclavage. Certaines ambassades ne déclarent même pas leur personnel, ne font pas de contrat de travail, font travailler les gens 7j/7 en les payant une misère...
Avant la loi Epis, ils n’avaient pas de statut. Ils n’étaient ni des travailleurs du secteur public, ni des travailleurs du privé.
Quelles sont les conséquences de ne pas être repris ni dans le privé ni dans le public ?
Jusqu’à la loi Epis, seules les lois générales s’appliquaient à eux, donc par exemple la loi sur le double pécule de vacances ou le temps de travail. Ils y avaient droit même si 9 fois sur 10, ce n’était pas respecté. Mais en Belgique, le droit du travail est surtout négocié entre patrons et syndicats au sein des commissions paritaires, et pas voté dans des lois. Or ces travailleurs n’étaient dans aucune commission paritaire. Cela posait donc des tas de problèmes. Par exemple, ils n’avaient pas droit à l’indexation de salaires, certains travailleurs n’avaient pas vu leur salaire indexé depuis 30 ans ! Ils n’avaient pas droit non plus au salaire minimum interprofessionnel, donc n’importe quel salaire était légal. C’était une zone de non droit, de l’esclavage organisé.
Et donc cela signifie qu’il n’y avait pas de syndicats officiels dans ce secteur ?
Il n’y a pas d’élections sociales, et pas encore de délégations syndicales officielles. Dans certaines Missions Diplomatiques, il est même inscrit dans le contrat de travail qu’on ne peut pas se syndiquer ! Grâce à la loi Epis, on pourra plus tard installer des délégations syndicales et protéger les travailleurs. Mais on a quand même déjà des délégués officieux dans plusieurs dizaines d’ambassades : des travailleurs courageux qui acceptent d’être notre point de contact, passer des informations à leurs collègues, et nous en faire remonter. L’intersyndicale est la réunion de tous ces délégués et a lieu une fois par mois.
A partir de quand la CNE a décidé de se plonger dans ce dossier ?
En 2011, tout est parti d’un appel d’une travailleuse qui nous a alertés sur ses conditions de travail. En faisant des recherches, nous nous sommes rendus compte que les problèmes étaient très nombreux dans ce secteur méconnu. On a commencé à organiser les travailleurs, à faire respecter leurs droits au tribunal, à protester contre les conditions de travail, comme lors de la grève à la Représentation espagnole le 16 octobre 2017, où 60 travailleurs ont courageusement occupé leur Mission pendant une journée. Mais ce qu’il fallait surtout, c’était un vrai statut légal : il fallait obtenir qu’un ministre propose un projet de loi. On a contacté les ministres de l’emploi, De Coninck, puis Peeters, et finalement, sous la pression de plus en plus importante, Kris Peeters l’a fait.
Et donc le vote de cette loi, c’est une très belle victoire...
Oui ! C’est assez fou parce que presque personne n’y croyait il y a encore 6 mois. Nous si ! On avait fait poser des questions parlementaires, eu des rendez-vous chez des ministres, écrit des dizaines de courriers et des projets de projets de loi... Sans succès. Et à la fin de la dernière assemblée des travailleurs en mai 2015, Kris Peeters s’est engagé à prendre des initiatives pour donner un statut aux travailleurs des Missions Diplomatiques. On ne l’a plus laissé nous oublier ! On a négocié plusieurs versions d’un texte, et finalement, il a été voté ! Il est d’application au 15 février. 15.000 travailleurs sans statut en ont aujourd’hui un, et les droits qui vont avec. L’indexation, le salaire minimum, le congé parental, le crédit-temps, l’outplacement… C’est une révolution.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Le combat n’est pas terminé, loin de là. On saura bientôt dans quelle commission paritaire ces travailleurs seront placés. Logiquement, cela devrait être la CP337. Ensuite il faudra continuer à négocier de nouveaux droits et de meilleures conditions de travail partout, et surtout, à organiser les travailleurs ! En mai, aura lieu la quatrième grande assemblée des travailleurs des Missions Diplomatiques et nos collègues des autres pays qui se battent comme nous pour un statut y participeront. Ce sera l’occasion de créer un réseau qui propagera largement cette belle victoire !
Propos recueillis par Alice Mazy
