Escale revigorante pour les hôtesses de Ryanair
Comme toutes les procédures judiciaires, l’affaire qui oppose six hôtesses de l’air et stewards, défendus par la CNE, à leur ancien employeur Ryanair, est devenu un feuilleton. Ouvert en 2011, le dossier vient en effet de redécoller, avec l’arrêt de la Cour du travail de Mons, prononcé dernièrement. Siégeant en appel, il s’agissait pour la cour de casser ou confirmer le jugement du Tribunal du travail de Charleroi rendu en novembre 2013, estimant que la Belgique n’était pas compétente pour juger le fond du dossier. Bonne nouvelle pour les travailleurs : la Cour du travail n’est pas de cet avis. Un petit rétroacte s’impose, n’est-ce pas ? C’est par là…
Depuis des années, la CNE réclame que Ryanair, qui emploie des travailleurs domiciliés en Belgique, se conforme au droit du travail belge. La compagnie aérienne refuse, et continue d’appliquer le droit irlandais, bien moins avantageux pour les travailleurs. Si la justice répond positivement à notre requête, 6 employés représentés par la CNE pourront récupérer le salaire, les primes de fin d’année, les pécules de vacances et les indemnités de rupture qu’ils n’ont pas perçus lorsqu’ils étaient sous contrat (de 3 à 5 ans selon les personnes). Mais l’affaire dépasse le secteur du transport aérien et la question de savoir si le personnel d’un avion est soumis à la loi du pays où cet avion est immatriculé. Il s’agit fondamentalement de la notion d’exécution du contrat de travail et d’exercice de l’autorité patronale.
Avant de juger sur le fond, la justice devait trancher la question de la compétence : nos tribunaux sont-ils autorisés à juger l’affaire ? La Cour du travail de Mons vient donc de répondre oui, « potentiellement », en se basant sur la Convention de Rome.
Où donc les hôtesses travaillent-elles ?
La CNE se félicite de cet arrêt, particulièrement bien motivé et qui retient essentiellement les éléments de fait et de droit que nous avions avancés.
La cour estime ainsi qu’il existe suffisamment d’éléments de faits non contestés pour considérer que la Belgique est susceptible de constituer le centre effectif des activités professionnelles de ces travailleurs. En effet, ces derniers doivent habiter à moins d’une heure de trajet de l’aéroport, rester en stand-by à l’aéroport, ils décollent et reviennent toujours à Charleroi, même lorsque plusieurs rotations sont effectuées dans une même journée, 12 avions Ryanair stationnent à Charleroi, Ryanair dispose d’un bureau à Charleroi où se trouve du personnel d’encadrement, etc.
Toutefois, pour lever tous les doutes d’interprétation de la Convention de Rome, la Cour du travail estime nécessaire de poser une question préjudicielle à la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne) : la notion de « lieu habituel d’exécution du travail » reprise dans la Convention de Rome peut-elle être interprétée comme assimilable à celle de « base d’affectation », utilisée par une autre directive européenne pour déterminer la législation européenne applicable en matière de sécurité sociale pour le personnel naviguant de l’aviation civile ? Cette base d’affectation étant définie comme le « lieu où le membre d’équipage commence et termine habituellement
sa journée ».
Ce sont effectivement deux notions assez proches. Et c’est un enjeu fondamental de faire en sorte que ce qui est déjà valable au niveau européen en matière de sécurité sociale le soit aussi pour le droit du travail.
Ainsi, depuis juillet 2012, une hôtesse de l’air nouvellement engagée par Ryanair bénéficie du régime de sécurité sociale belge, alors qu’elle est toujours soumise aux dispositions du droit du travail irlandais. Elle ne peut ainsi pas revendiquer le paiement de toutes ses heures prestées (vu que Ryanair ne rémunère que les heures de travail effectuées lorsque l’avion est en vol) et n’est pas payée pour le temps passé lors des escales ou lors du nettoyage de l’avion, etc.
Un détour qui vaut la peine
Si la CJUE répond par l’affirmative à la question posée par la Cour du Travail de Mons, cette dernière s’estimera compétente pour recevoir les demandes des hôtesses et stewards et pourra appliquer le droit du travail belge et ainsi condamner Ryanair à, notamment, payer toutes les heures prestées, celles au sol y compris.
La CNE estime que ce détour par la plus haute juridiction européenne n’est pas une perte de temps, que du contraire : celui-ci donnera à l’arrêt prononcé une assise juridique valable dans tous les Etats de l’Union européenne.
C’est ce que nous pensons depuis le début. Cette problématique doit se résoudre globalement au niveau européen et pas uniquement localement, comme c’est le cas pour l’instant, tantôt en France, au Danemark ou en Norvège. Après tout, nous partageons le même ciel…