La franchise, nos craintes se confirment
Le 7 mars 2023, Delhaize annonçait la franchise de ses 128 supermarchés intégrés. Fin 2024, tous les magasins seront passés en franchise. Comme nous le craignions, à seulement huit mois du premier passage en franchise, on constate déjà des situations intolérables sur la manière dont les travailleurs sont traités. A la CNE, nous continuons de défendre et tentons d’organiser les travailleurs de la franchise même si l’absence de délégation syndicale rend cela beaucoup plus difficile.
Depuis avril, des témoignages nous remontent de deux magasins bruxellois repris par un indépendant bien connu de Delhaize puisqu’ayant travaillé 20 ans comme salarié puis comme gérant d’un magasin affilié. Dans ces magasins règne un management de la terreur, illustré par des propos tels que :
« Au moment où vous êtes dans le magasin, vous m’appartenez » ; « Je vais dire qui est malade et qui n’est pas malade. J’en ai rien à battre des certificats. » ; « Il faut parfois donner un coup de cravache à certains chevaux, plusieurs coups à d’autres et certains sont juste à emmener à l’abattoir ».
Intimidation des malades, pratiques illégales et dénigrement des travailleurs sont la norme. Le repreneur dit se foutre de la CCT32 bis (cette convention censée garantir les droits acquis aux anciens travailleurs de Delhaize). Il ne respecte ni les horaires de référence ni les fonctions. Il menace les étudiants qui refusent de travailler le dimanche qui précède les examens. Il a placé des caméras partout. Alertée par nos soins, la direction de Delhaize nous a répondu dans un premier temps qu’ils surveillaient les choses et que tout semblait rentrer dans l’ordre. Questionnée par la RTBF un mois plus tard, elle a répondu qu’elle manquait d’éléments pour intervenir. Autant dire que ce n’est plus son problème.
Si ce cas est extrême, nous aurions tort de croire qu’ailleurs tout se passe bien. Dans de nombreuses franchises, la législation sur le travail du dimanche n’est pas respectée au vu et au su de Delhaize, pas gêné de mentionner des horaires illégaux sur son site internet. Le modèle de la franchise est un modèle qui ouvre la porte à ces pratiques. D’une part parce que le repreneur est tenu de diminuer ses coûts et que les dépenses salariales sont quasi le seul élément sur lequel il peut agir, le loyer et le coût des marchandises étant fixés par Delhaize. Pour couper dans les dépenses salariales, les repreneurs combinent plusieurs techniques. Tous les magasins sont passés dans une commission paritaire moins avantageuse pour les travailleurs et ceux qui ont plusieurs magasins créent des structures juridiques distinctes pour y être également. A côté de cela, beaucoup poussent les travailleurs vers la sortie. Certains magasins se sont déjà débarrassés d’une trentaine de travailleurs, un tiers de leur personnel. Lorsqu’ils sont remplacés c’est bien souvent par des contrats étudiants ou des flexi-jobs.
Depuis le début, nous dénonçons la mise en franchise comme une stratégie capitaliste permettant d’exploiter encore plus les travailleurs et d’engranger plus de bénéfices pour les actionnaires sans que le franchiseur ne doive plus se préoccuper ni assumer la politique sociale, les risques étant reportés sur le gérant indépendant. Cerise sur le gâteau pour la multinationale Ahold Delhaize, la mise en franchise leur a permis de se débarrasser des représentants syndicaux affaiblissant ainsi la capacité des travailleurs de faire valoir leurs droits par l’action collective. Mais c’était sans compter sur la détermination de la CNE à continuer le travail syndical avec les travailleurs de la franchise. Nous renouons avec les pratiques syndicales de base utilisées avant que le syndicat et la concertation sociale ne soient institutionnalisés.
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