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Congrès national 10-12 octobre 2019

Le congrès national est le lieu par excellence où s’exerce la démocratie interne à la CSC. Organisé tous les quatre ans, il réunit des représentantes et représentants de toutes les organisations. Sa mission? Déterminer le programme général de la CSC et l’attitude de notre organisation face aux questions importantes. Le dernier congrès, intitulé «De vive voix», a eu lieu les 23 et 24 avril 2015 à Ostende.

Cette année, avec le congrès #queltravaildemain, la CSC a rendez-vous avec l’avenir et les principaux défis qu’il nous réserve: innovation technologique, transition écologique, émergence de nouveaux modèles économiques, poursuite de la globalisation… 

À quoi devons-nous nous attendre? Quels phénomènes percevons-nous déjà aujourd’hui? Comment nous y préparer? Pouvons-nous infléchir cet avenir? Quelles menaces fait-il peser sur nous? L’avenir, c’est nous qui le construisons: il ne suffit pas de subir et de s’adapter. C’est pourquoi la CSC a un rôle incontournable à y jouer.

«Quelle que soit la transition, elle doit être juste» proclame dès le départ le projet de lignes de force du congrès 2019. À la fois réaliste et ambitieux, le ton est donné!

Mais le travail qui sera réalisé à Ostende n’est que la pointe visible de l’iceberg. Depuis plusieurs mois, c’est toute la CSC qui est mobilisée. Sur base du premier projet de lignes de force publié dans l’édition spéciale de Syndicaliste du 10 janvier 2019, vous avez été consultés pour amender les textes qui seront soumis au vote en octobre. Chacune et chacun a eu son mot à dire, et que vous y soyez ou non, ce congrès est aussi le vôtre!

De l’ubérisation à la digitalisation

En 1980, les premiers téléphones sans fil à usage domestique sont venus remplacer les téléphones fixes. En 1991, le GSM a fait son apparition, suivi quelques années plus tard par le smartphone qui fonctionne aujourd’hui sur la 4ème génération (4G) de réseaux mobiles. Chaque jour, des entreprises et organisations lancent de nouvelles applications pour les smartphones et, dans le prolongement de cette technologie des apps, de plus en plus de plateformes numériques voient le jour. L’exemple le plus parlant est sans nul doute, en 2010, l’apparition d’Uber, une pseudo entreprise de services de taxi. Ce phénomène croissant de «services à la demande» a rapidement été baptisé ubérisation, même si l’on parle aussi de «gig-économie»: une économie de petits boulots que l’on multiplie pour tenter de s’assurer un revenu correct.

L’ubérisation n’est toutefois qu’un élément d’une large gamme de phénomènes nouveaux. Nous pensons, par exemple, à la nouvelle génération d’engins volants sans pilote (les drones) ou à la course pour construire des voitures sans chauffeur. Les ordinateurs sont non seulement de plus en plus puissants, mais aussi de plus en plus réduits et faciles à intégrer dans des objets plus petits. Ces évolutions ont permis le développement d’une nouvelle génération de robots ainsi que de l’Internet of things (internet des objets): des machines connectées entre elles grâce à la toile mondiale.

Dans les laboratoires, tous les efforts se concentrent sur l’intelligence artificielle, avec des ordinateurs qui s’ajustent eux-mêmes sur la base des données qu’ils reçoivent. On les qualifie parfois de «machines apprenantes». L’impression en 3D, qui crée automatiquement de petites et grandes constructions complexes, fait fureur. Pendant ce temps, la communication passe de plus en plus par les médias sociaux, ce qui fournit un stock de données pour une publicité personnalisée.

Toutes ces évolutions sont rassemblées sous le terme de digitalisation. Sans oublier toutes les innovations technologiques, basées sur de nouveaux matériaux, qui continuent à se multiplier.

Un emploi sur deux condamné à disparaître?

Les médias et le public se sont d’abord laissé éblouir par cette nouvelle vague d’innovations. Il a fallu attendre des années pour que l’on commence à réfléchir à son impact global. Le 17 septembre 2013, deux chercheurs, Frey et Osborne, ont publié un petit rapport sur la force destructrice de cette nouvelle vague d’évolutions technologiques. Ce rapport a ensuite été baptisé «Étude d’Oxford». Malgré les critiques déclenchées par cette étude et ses conclusions, on a retenu à tort que 47% des emplois existant aux États-Unis seraient menacés par l’automatisation.

En Belgique, une étude comparable sur le marché de l’emploi belge, menée par ING sur 412 catégories professionnelles, a montré que 49% des emplois seraient touchés. Voilà qui a rappelé la vague de panique du début des années ‘80 du siècle dernier, lorsque les robots des films de science-fiction se sont introduits dans les usines. Dans le même temps, IBM a lancé l’ordinateur personnel qui s’est rapidement répandu dans les bureaux. Par ricochet, les visions apocalyptiques concernant les menaces pour l’emploi et l’asservissement de l’homme par la machine se sont multipliées, tant dans l’industrie que dans les secteurs des services.

Les syndicats gardent la tête froide

On peut constater une différence notable par rapport à la première vague de panique liée à la troisième révolution industrielle des années ‘80. Cette fois, les syndicats gardent la tête relativement froide, non seulement en Belgique, mais aussi dans le reste du monde.

Dans les années ‘80 déjà, les syndicalistes ont compris que le problème ne vient pas de l’entreprise qui introduit des robots, mais bien de celle qui refuse de le faire. Ce sont les actionnaires qui préfèrent empocher leurs dividendes plutôt que d’investir, qui détruisent les entreprises. Aujourd’hui, un état d’esprit différent prévaut; il s’explique notamment parce que la situation actuelle en matière de chômage n’est pas comparable à celle du début des années ’80: à l’époque, suite au deuxième choc pétrolier, le chômage des jeunes atteignait un niveau dramatique. On a également retenu les leçons du passé: nous savons que les destructions d’emplois s’accompagnent aussi de créations d’emplois et que les gains de productivité boostent le pouvoir d’achat.

Il existe encore une autre différence: au début des années ‘80, la doctrine néo-libérale dure, parfaitement exprimée par le discours d’investiture de Ronald Reagan, «Government is the problem», en 1980, n’avait pas encore réellement percé chez nous. Elle n’a surgi que plus tard, notamment dans les «Manifestes du citoyen» du jeune Verhofstadt.

Au début des années ’80, il y avait donc encore de l’espace pour un débat sur le rôle de pilotage et d’accompagnement des pouvoirs publics, en collaboration avec les interlocuteurs sociaux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, surtout à droite où l’on prêche que rien ne peut s’opposer à l’innovation: pas les pouvoirs publics et surtout pas les interlocuteurs sociaux. La nécessité de l’innovation technologique sert aussi de prétexte à cette même droite pour prôner la disruption de la protection sociale et de la concertation sociale. Le terme «disruption» n’est pas neutre: il permet de camoufler le démantèlement de la protection sociale et du droit du travail. Ainsi, la Belgique est-elle devenue aujourd’hui le paradis des lobbies low cost des plateformes numériques. Avec une situation unique au monde: pas d’impôt sur les revenus, pas de cotisations, pas de protection.

Les apprentis sorciers de la nouvelle génération de néo-libéraux rêvaient pourtant d’une autre situation. Ils espéraient que les syndicats s’opposent à l’innovation technologique afin de pouvoir les assimiler aux «destructeurs de machines» du 19ème siècle, de les désigner comme des opposants archaïques aux nouvelles technologies. Cette stratégie a échoué. Les stratèges de droite ont à nouveau tenté de pousser les syndicats dans ce camp lorsque nous nous sommes opposés aux plateformes numériques, mais ce fut
à nouveau sans succès.

Toutes les organisations patronales se sont en effet opposées elles-aussi au dumping fiscal et social que le pouvoir fédéral organisait sciemment. En outre, il est apparu rapidement que le succès de ces plateformes n’a pratiquement rien à voir avec la technologie. Il s’agit plutôt d’un retour à des modèles de travail du 19ème siècle, basés sur le salaire à la pièce et sans aucune protection sociale digne de ce nom.

De la technologie à la transition

Cinq ans après l’étude de Frey et Osborne, les contours du débat semblent avoir changé. Il n’est plus question de se focaliser uniquement sur l’innovation technologique. Nous sommes de plus en plus conscients que ces bouleversements coïncident avec une série d’autres transformations.

Ainsi, nous faisons face à des enjeux écologiques considérables, s’accompagnant de nombreux défis démographiques. Ces défis dépassent le vieillissement et la dénatalité. Pensons, par exemple, à la migration et à la diversité. Sans oublier l’image contradictoire de la mondialisation que l’on véhicule aujourd’hui. D’une part, une nouvelle tendance à l’isolationnisme: des murs que l’on érige autour des pays pour tenir les entreprises et les citoyens à l’écart; et, d’autre part, une concentration énorme de pouvoirs et de capitaux dans les mains d’un petit nombre de multinationales, avec un large réseau de sous-traitants. À côté de ces multinationales classiques apparaissent désormais cinq géants omnipotents de l’internet: Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (les GAFAM).

Nous nous rendons de plus en plus compte que le problème ne vient pas tellement de la technologie, mais de la capacité des sociétés à répartir équitablement les gains de productivité. Le fait que les tsunamis technologiques antérieurs n’aient pas entraîné l’effondrement de l’emploi tel qu’il avait été prédit joue certainement un rôle ici.

Mais qu’adviendra-t-il si les mécanismes classiques de redistribution se trouvent paralysés au niveau mondial: que deviendront la fiscalité progressive, la protection sociale, les négociations collectives, les syndicats dans leur rôle de garants et d’artisans de la redistribution? La Belgique semble s’en tirer relativement bien, même après cinq ans d’un diktat politique néo-libéral impitoyable; mais qu’en serait-il après cinq nouvelles années du même acabit? L’agenda néo-libéral est très clair, tout comme l’incapacité des institutions européennes et internationales à contrer la course à l’affaiblissement fiscal et social.

L’attention se déplace toujours davantage de la technologie vers des formes de travail comme l’ubérisation ou la ryanairisation. En effet, le succès de Ryanair ne s’explique pas par des prouesses technologiques, par un meilleur site internet ou de meilleurs avions. De la même manière, le modèle Uber est basé sur le contournement des CCT, de la protection sociale, des cotisations sociales et des impôts. Le problème ne vient pas de la technologie mais bien du fait que les lobbyistes du low cost réussissent à imposer des modèles de travail où la protection est réduite, voire inexistante. Les autorités n’ont ni le courage ni la volonté politique de s’y opposer.

Si nous devons garder la tête froide par rapport aux pertes d’emplois globales, nous devons aussi nous pencher sur le défi particulièrement lourd que représente la transition pour les travailleurs et les travailleuses. Dans le débat climatique, la préoccupation d’une transition juste est bien réelle. Mais qu’en est-il lorsqu’il est question de technologie, de migration ou de mondialisation? Ces transitions constituent les grands défis actuels, en particulier pour les travailleurs et les travailleuses faiblement ou
moyennement qualifiés. Le premier groupe en particulier sera confronté à un double problème: il va voir disparaître les emplois qu’il occupe et, pour les emplois à bas salaires qui subsisteront, il va se trouver en concurrence avec des travailleurs et des travailleuses moyennement qualifiés sans emploi.

Ce qui semble avoir peu changé durant ces cinq années, c’est le fait que l’innovation technologique sert toujours de point de départ au débat. Mais la situation actuelle est différente de celle des années ‘80. À l’époque, on ne pouvait pas envisager de débat sur la technologie sans aborder la question du pilotage des choix technologiques. Aujourd’hui, la liberté académique et l’entrepreneuriat ne peuvent pas servir d’excuses pour ne pas entamer le débat sur les choix éthiques ou sur la manière dont la technologie peut améliorer les sociétés. Le plus inquiétant est peut-être que, quarante ans plus tard, nous considérons les progrès technologiques comme une fin en soi, sans nous poser la question des choix technologiques et de l’orientation des investissements vers des technologies qui apportent une plus-value humaine et sociétale.